Le consentement : au-delà du « oui »

10/30/20257 min read

Le consentement, cela va-t-il de soi ?

Le consentement. Le mot semble simple, presque binaire. On pense immédiatement à un interrupteur : « oui » ou « non ». Dans nos interactions quotidiennes, des contrats que nous signons aux relations les plus intimes, nous nous reposons sur cette idée claire et nette d'un accord donné ou refusé. Cette vision, bien que rassurante, ne fait qu'effleurer la surface d'un concept complexe et profond.

En réalité, le consentement est un terrain mouvant, nuancé et souvent contre-intuitif. C'est un processus humain, fragile, influencé par des forces invisibles qui échappent à la simple logique du choix rationnel. Que se passe-t-il lorsque le corps semble dire « oui » mais que l'esprit crie « non » ? Un accord peut-il être véritablement libre et éclairé quand nous ne maîtrisons ni toutes les causes ni toutes les conséquences de nos décisions ?

En nous appuyant sur la philosophie, le droit et la psychologie clinique, cet article vous propose d’explorer quatre facettes du consentement dans nos relations.

1. La réalité : jouir n'est pas consentir

Dans l'imaginaire collectif, une confusion dangereuse persiste : celle qui assimile la jouissance — qu'il s'agisse de plaisir, d'excitation physique ou d'orgasme — à un acte de consentement. Cette idée reçue, profondément ancrée, est non seulement fausse, mais elle est aussi instrumentalisée pour justifier l'injustifiable.

Les recherches en psychologie et les témoignages de victimes le démontrent sans équivoque : les réactions physiologiques ne sont pas des preuves de désir. Des manifestations comme la lubrification vaginale, l'érection ou même l'orgasme peuvent être de simples réflexes du système nerveux, survenant en l'absence totale de plaisir ou de volonté. Ces réactions peuvent même se produire dans des situations de contrainte, de terreur ou d'agression sexuelle. Le corps, dans un mécanisme de survie, peut réagir pour se protéger de lésions physiques ou pour limiter la durée de l'agression.

Les agresseurs exploitent cyniquement cette confusion physiologique pour légitimer leurs actes, en prétendant que les signes d'excitation de leur victime valaient pour un accord. La psychologie clinique offre une autre clé de lecture avec le concept d'« identification à l'agresseur », développé par le psychanalyste Sándor Ferenczi. Face à une angoisse de mort, une victime peut, pour survivre psychiquement, s'identifier au plaisir de son agresseur. C'est une stratégie de défense ultime où, pour ne pas mourir, le sujet « jouit pour survivre ».

Il est donc crucial de le réaffirmer avec force : la présence de signes d'excitation sexuelle ne peut jamais, en aucun cas, constituer une preuve de plaisir ou de consentement.

2. L'illusion du choix parfait : consentir est un acte de foi, pas un calcul

L'expression « consentement libre et éclairé » est un idéal vers lequel nous tendons, notamment dans les domaines médical et juridique. Pourtant, si on l'examine de près, ce concept est, au sens strict, une utopie. Penser que nous pouvons consentir en pleine possession de nos moyens, avec une connaissance parfaite de tous les tenants et aboutissants, relève d'une vision idéalisée de la décision humaine.

La réalité est bien plus complexe, et ce pour deux raisons fondamentales exposées par la psychologie et la philosophie :

  1. Notre liberté est limitée. Nos décisions sont influencées par une multitude de déterminants qui échappent à notre contrôle conscient : pulsions, conflits intrapsychiques, traumatismes passés, stimuli environnementaux discrets... Étant donné la multitude de causes qui nous influencent, nous ne pouvons jamais affirmer savoir exactement pourquoi nous choisissons une option plutôt qu'une autre.

  2. Notre connaissance est fragmentaire. Il est impossible de connaître l'ensemble des conséquences d'un choix. Celles-ci sont trop nombreuses, souvent inconnues ou indéterminées. Au mieux, nous pouvons faire une approximation raisonnable, un calcul partiel des probabilités, mais une part d'incertitude demeure toujours.

Dans ce contexte, consentir relève moins d'un calcul rationnel que d'un véritable pari sur l'avenir.

En somme, étant donné la connaissance fragmentaire des causes et des conséquences, consentir représente moins un acte de pure autodétermination qu’un acte de foi, au sens où l’individu croit (et espère) plus qu’il ne sait.

Cette perspective nous invite à aborder le consentement avec humilité. Ce n'est pas une simple transaction où toutes les variables sont connues, mais un engagement profond face à l'incertitude. Cette humilité nous amène d'ailleurs à une autre révélation : si consentir est un acte de foi, alors l'accord ne peut être un simple « oui » ponctuel, mais doit être un processus accompagné.

3. La nuance qui change tout : la différence entre « consentir » et « assentir »

Le langage que nous utilisons façonne notre pensée. En matière de consentement, une distinction étymologique subtile mais fondamentale entre deux termes très proches, « consentir » et « assentir », révèle deux manières radicalement différentes d'envisager l'accord.

Les deux mots proviennent de la même racine latine, sentire, qui possède une double signification : l’une, physique, est le fait d’éprouver une sensation corporelle ; l’autre, plus intellectuelle, renvoie à l’idée d’exprimer une opinion, une « sentence ». Leur préfixe change ensuite tout :

  • Consentir vient de cum-sentire, qui signifie « sentir avec ». Ce terme décrit un point d'arrivée, une sorte de photographie de l'instant où une volonté individuelle acquiesce à une proposition extérieure. C'est l'acte de dire « oui » à un moment précis, la destination finale du processus de décision.

  • Assentir vient de ad-sentire, qui signifie « aller vers ». Ce terme décrit non pas une destination, mais un mouvement, un parcours. L'assentiment est le processus d'adhésion personnelle, le cheminement intérieur par lequel un individu fait sien un choix, en y engageant ses convictions et ses croyances les plus intimes. C'est le voyage qui mène à la décision.

L'absence d'un refus n'équivaut pas à une adhésion pleine et entière. Comme le résume une analyse sur le sujet :

L’absence de notre désaccord ne suffit pas à établir l’existence de notre accord, de même que la destination décisionnelle que nous avons atteinte ne dit pas tout du voyage qui nous y a menés et de l’importance qu’on lui a accordée.

Cette distinction a un impact majeur sur nos relations. Plutôt que de simplement chercher à « recueillir un consentement » — un acte ponctuel qui peut s'avérer superficiel — nous devrions aspirer à « accompagner l'assentiment ». Cela implique de créer un espace de dialogue et de confiance où l'autre peut construire sa propre position, cheminer vers une décision qui lui ressemble vraiment, et non se contenter de cocher une case.

4. La force invisible : comment l'emprise annihile le consentement

Le consentement peut être invalidé par la violence physique ou la menace directe. Mais il existe une force plus insidieuse, une forme de pouvoir invisible qui ne laisse pas de traces physiques mais qui détruit tout aussi sûrement la capacité de dire « non » : l'emprise.

Cette notion échappe au cadre juridique classique. L'emprise n'est même pas répertoriée parmi les traditionnels « vices du consentement » du droit civil (l'erreur, le dol, la violence). Elle est une « contrainte diffuse, insidieuse, qui ne dit pas son nom », née d'une relation de pouvoir asymétrique : l'ascendant moral ou intellectuel, la domination, un lien de subordination. Le problème n'est donc pas seulement une question de degré ; c'est que le cadre juridique a historiquement été aveugle à ce phénomène.

Le point crucial est que l'emprise n'est pas une simple pression qui vicie un accord ; elle est une forme de domination qui rend la possibilité même du consentement inexistante. Là où il y a emprise, le consentement est tout simplement impossible. La victime, piégée dans cette toile relationnelle toxique, peut formellement dire « oui », mais ce « oui » est vide de sens car il n'émane plus d'une volonté libre. Les effets sont dévastateurs, induisant un sentiment profond de honte et de culpabilité chez la victime, qui finit souvent par croire à tort qu'elle était consentante. Le système d'emprise institutionnelle, comme celui mis en lumière au sein de l'Église catholique, illustre tragiquement comment des structures de pouvoir peuvent créer un contexte où de telles violences deviennent systémiques.

La conclusion est sans appel, et elle doit être entendue :

Consentement et emprise sont bien les figures d’une incompatibilité.

Reconnaître l'emprise, c'est comprendre que l'absence de lutte ou un accord de façade ne signifient rien lorsque la liberté intérieure d'une personne a été confisquée.

Repenser nos échanges

De la réaction physique qui n'est pas un accord, au choix qui est un acte de foi ; de la nuance entre un accord ponctuel et une adhésion profonde, à la force destructrice de l'emprise, il est clair que le consentement est loin d'être un simple interrupteur. Ces quatre facettes le dépeignent non pas comme un acte isolé, mais comme un processus profondément humain, un espace relationnel fragile, complexe et qui exige bien plus qu'une simple question fermée.

Comprendre ces nuances, c'est se donner les moyens de construire des relations plus justes, plus respectueuses et plus authentiques. Cela nous oblige à être plus attentifs, à communiquer plus clairement et à nous assurer que le « oui » que nous recevons est le fruit d'une véritable liberté. Maintenant que le consentement n'est plus un interrupteur binaire, mais un dialogue fragile fondé sur la confiance et l'absence d'emprise, comment créer, au quotidien, les conditions d'un accord véritablement libre ?

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