La transidentité à l'adolescence : enjeux cliniques, sociaux et éthiques

10/19/202516 min read

1. Introduction : un phénomène au carrefour des subjectivités et des mutations sociales

L'émergence contemporaine de la transidentité adolescente s'est imposée comme un sujet de débat clinique, social et éthique de premier plan. Ce phénomène complexe se situe à la croisée d'une souffrance subjective indéniable, qui appelle une écoute respectueuse, et d'une mutation sociétale marquée par une augmentation exponentielle des demandes de transition de genre. Cette augmentation, particulièrement notable chez les adolescentes, est illustrée de manière frappante par les chiffres observés en Île-de-France : en une décennie, les consultations spécialisées sont passées d'environ dix demandes par an à dix par mois, selon les observations de Caroline Eliacheff et Céline Masson. Face à cette réalité, cliniciens, familles et institutions se trouvent confrontés à des questionnements inédits. L'objectif de ce document est d'analyser de manière critique les différentes facettes de cet enjeu, en examinant les perspectives cliniques qui cherchent à donner sens à ces trajectoires, les dynamiques sociétales qui les façonnent, et les dilemmes éthiques profonds soulevés par l'accompagnement médical des mineurs. Pour saisir la portée des débats actuels, il est indispensable de retracer d'abord l'évolution des cadres conceptuels et historiques qui ont transformé notre compréhension du genre et de l'identité.

2. Évolution des paradigmes : du transsexualisme à la santé transgenre

L'analyse des controverses actuelles exige au préalable une déconstruction de l'évolution sémantique et paradigmatique du champ clinique. Le glissement du "transsexualisme" à la "santé transgenre" n'est pas un simple ajustement de vocabulaire ; il reflète une transformation profonde des approches médicales, sociales et de la manière dont les individus eux-mêmes se perçoivent et se présentent au monde.

2.1. Le paradigme du "syndrome transsexuel"

Le paradigme historique, formalisé par l'endocrinologue Harry Benjamin dans les années 1950 et 1960, définissait le "syndrome transsexuel" à travers trois composantes fondamentales : le désir profond d'appartenir à l'autre sexe, le rejet du propre corps anatomiquement sexué, et la demande d'une transformation hormonale et chirurgicale (THC) la plus complète possible. Selon Benjamin, pour les "vrais transsexuels", « leurs organes génitaux [...] sont des difformités dégoûtantes qui doivent être changées par le scalpel du chirurgien ».

Ce modèle, solidement ancré dans une vision binaire de l'identité (homme ou femme), visait une assimilation optimale au sexe opposé, jusqu'à l'oubli du passé. La vignette clinique de Claudia, qui, après avoir achevé sa transition, se définit comme « une femme avec un passé transsexuel », illustre parfaitement la finalité réussie de ce paradigme : une intégration complète dans la catégorie de genre désirée, où le parcours de transition devient une simple note biographique.

2.2. L'émergence du "transgenderisme" et la dissociation Sexe/Genre

Une rupture conceptuelle majeure est introduite dans les années 1970 par la figure de Virginia Charles Prince, qui popularise le terme "transgenderisme". S'appuyant sur la distinction entre sexe et genre, elle opère une dissociation fondamentale entre le fait de changer de sexe (les attributs anatomiques) et celui de changer de genre (le rôle social et l'identité subjective). Sa phrase emblématique, adressée aux médecins, résume cette nouvelle perspective : « mon genre, mon identité personnelle est entre mes oreilles, pas entre mes jambes ».

Cette dissociation ouvre la voie à une pluralité de parcours. Elle légitime des transitions partielles (hormonales sans chirurgie génitale, par exemple) et la possibilité de conserver certains attributs du sexe de naissance. Cette nouvelle logique rend possibles et cliniquement pensables des trajectoires comme celle de Rose, qui refuse la chirurgie, ou même la suspension de transition de Louis/Louise, qui incarne une fluidité impensable dans le cadre binaire strict de Benjamin. Le transgenderisme ne vise plus nécessairement l'assimilation, mais l'expression d'une identité de genre singulière.

2.3. La normalisation par la WPATH et ses ambiguïtés

La World Professional Association for Transgender Health (WPATH), héritière de l'association fondée par Harry Benjamin, a officialisé ce changement de paradigme. Abandonnant le modèle du syndrome transsexuel, jugé "pathologisant", elle promeut désormais le concept de "santé transgenre". Ce nouveau modèle ne se fonde plus sur une dichotomie binaire mais sur un spectre de variations identitaires considérées comme normales, visant une prise en charge individualisée.

Cependant, cette conception élargie fait l'objet de critiques. Le psychanalyste Jean-Baptiste Marchand souligne qu'elle risque de gommer des distinctions cliniques importantes. En englobant sous le terme "transgenre" une vaste gamme de non-conformités de genre (allant du transsexualisme aux hommes efféminés ou femmes viriles qui ne demandent aucun soin), ce paradigme peut devenir "éthiquement dérangeant". Il risque en effet d'attribuer un diagnostic à des personnes qui ne sont pas en demande de transition, brouillant les frontières entre une variation identitaire, une souffrance psychique et une demande de soin.

En conclusion, cette évolution a déplacé la question d'un trouble psychiatrique à traiter vers une variation de l'identité humaine à accompagner. Ce faisant, elle a préparé le terrain pour les débats actuels, particulièrement vifs, concernant l'autonomie et l'accompagnement des adolescents.

3. L'adolescence : un moment de cristallisation des enjeux identitaires

L'adolescence constitue une période de construction identitaire et de vulnérabilité unique, ce qui rend la question du genre particulièrement saillante et complexe. Les transformations pubertaires imposent à chaque individu une confrontation, souvent brutale, avec la réalité d'un corps sexué en pleine mutation. Ce processus biologique et psychique universel entre aujourd'hui en collision avec de nouvelles dynamiques éducatives et sociales qui valorisent le choix et l'autonomie, créant une tension inédite.

3.1. La double contrainte de la puberté

Selon des analystes comme Antoine Périer, Daniel Marcelli et Marie Rose Moro, l'adolescence confronte le jeune à une "double impuissance". D'une part, il subit passivement les transformations physiologiques et morphologiques de son corps, sur lesquelles il n'a aucune prise. D'autre part, il est débordé par une pulsionnalité nouvelle, une excitation interne qu'il ne maîtrise pas. Comme le souligne Philippe Gutton, le "pubertaire" est ce processus qui force une réorganisation psychique majeure, où les enjeux archaïques de la petite enfance sont réactivés par l'émergence de la génitalité. L'adolescent doit composer avec un corps qui lui impose une réalité sexuée binaire, une contrainte à laquelle toutes les générations précédentes ont dû se soumettre.

3.2. L'impact du changement de paradigme éducatif

La spécificité contemporaine réside dans la convergence de cette contrainte pubertaire avec un changement de paradigme éducatif.

  1. De "l'enfant-sujet" à "l'enfant-individu" : L'éducation moderne est passée d'un modèle où l'enfant était un "sujet" (étymologiquement, "placé sous" une autorité) à un modèle où il est considéré très tôt comme un "individu" autonome, dont on valorise les compétences et la capacité de "choisir". Cette culture du choix, omniprésente dès le plus jeune âge, rend l'adolescent contemporain particulièrement réfractaire à l'expérience de passivité imposée par la puberté.

  2. La puberté comme perte narcissique : Pour cet "adolescent-individu", déjà doté d'une grande autonomie, le processus adolescent peut être vécu non plus comme un gain (plus de libertés, découverte de la sexualité), mais comme une perte de la toute-puissance narcissique de l'enfance. Le corps, avec ses exigences et ses transformations incontrôlables, devient le symbole de cette perte. Ce vécu crée un terrain psychique fertile pour le rejet du corps et de ses déterminations biologiques.

3.3. L'ouverture des possibles par les "gender studies"

Parallèlement, la désunion du sexe et du genre, popularisée par les études sur le genre et les travaux de philosophes comme Judith Butler, a créé un "espace de liberté et de choix" socialement et intellectuellement légitimé. Face à la contrainte pubertaire et à l'incertitude identitaire, cette nouvelle possibilité apparaît comme une voie de sortie. Comme le notent Périer, Marcelli et Moro, « au moindre doute, au moindre malaise, à la moindre souffrance, les adolescents s’engouffrent dans cette nouvelle possibilité : ils peuvent choisir comme ils l’entendent leur genre et, pourquoi pas, leur sexe ».

C'est donc à l'intersection de ces trois dynamiques — la contrainte biologique du "pubertaire", la culture de l'"adolescent-individu" habitué à choisir, et l'ouverture conceptuelle offerte par les discours sur le genre — que la question transgenre trouve un écho si puissant. Pour le jeune contemporain, la contrainte non choisie du corps pubertaire peut être vécue comme une agression narcissique. Face à cela, le discours des "gender studies" n'apparaît pas seulement comme une option, mais comme la solution idéale et socialement validée pour reprendre le contrôle par le choix. Cette collision complexe nous amène à examiner les différentes interprétations cliniques qui tentent de donner sens à ces trajectoires singulières.

4. Perspectives cliniques : entre solution subjective et symptôme sociétal

La clinique de l'adolescence transgenre se caractérise par une hétérogénéité qui met au défi toute lecture univoque, faisant osciller l'interprétation entre solution subjective et symptôme sociétal. D'un côté, une perspective considère la transition comme une solution authentique et créative face à une souffrance profonde ; de l'autre, une lecture l'interprète comme le symptôme de conflits sous-jacents, de traumatismes non élaborés ou de dynamiques familiales complexes. L'examen de cas cliniques singuliers permet d'éclairer la pertinence de ces différentes lectures, qui ne sont pas nécessairement exclusives les unes des autres.

4.1. La transition comme "solution" à l'énigme du Sexuel

S'appuyant sur la pensée de Nicolas Evzonas, la transition peut être analysée comme un "passage par l'acte" qui, loin d'être une simple fuite, peut paradoxalement ouvrir à un processus de symbolisation. Le cas de Martin, un adolescent transgenre, illustre comment ce parcours peut constituer une solution "bricolée" face à une histoire familiale insensée. Confronté à une "scène primitive chaotique" (ce qu'André Green nomme une "bitriangulation", une structure où le couple parental fonctionne comme un objet clivé – tout bon/tout mauvais –, empêchant l'accès à une triangulation œdipienne structurante) et à un "désengendrement" par des messages parentaux violents et incestueux, Martin utilise la transition pour se construire ce que Sylvie Le Poulichet appelle un "mythe personnel de la naissance". Cette réinvention de ses origines, bien que passant par le corps, devient une tentative de s'affilier au monde et d'exister psychiquement.

4.2. Le corps et ses images : traumatisme et co-construction

Fabien Joly met en lumière la centralité de "l'image du corps" comme lieu de cristallisation des souffrances identitaires.

  • Le cas de Louis/Louise est emblématique. Née fille, Louise traverse une adolescence marquée par des traumatismes sévères (deuil, harcèlement, diffusion de photos intimes). Sa demande de transition en Louis apparaît alors comme une tentative de reconstruction "en après-coup" d'une vérité historique pour se défendre contre des blessures psychiques inélaborables. Le changement de genre devient une manière de "tuer" symboliquement la jeune fille qui a souffert.

  • Le tournant décisif survient lorsque Louis, au milieu de sa transition, rencontre un homme et vit une relation amoureuse où il se sent désiré. Cet événement le conduit à suspendre son parcours médical. Ce cas démontre de manière saisissante que l'identité, loin d'être une essence autoproclamée, est une "co-construction" (Bernard Golse), fondamentalement dépendante du regard, de la reconnaissance et du désir de l'autre.

4.3. Défaillance de la fonction paternelle et refus du féminin

En se basant sur le cas de Lou, analysé par Anne Perret, la demande de transition chez de nombreuses adolescentes peut être interprétée comme une réponse à une défaillance de la fonction paternelle. Pour Lou, la mort de son père coïncide avec l'arrivée de la puberté. Cet événement la laisse dans un "face-à-face spéculaire meurtrier" avec sa mère, lui barrant l'accès à sa propre féminité. Dans ce contexte, son choix de "devenir garçon" n'est pas tant un choix sexué qu'une tentative de "réhabilitation de la fonction phallique" (entendue non comme une référence à l'organe pénien, mais à la fonction symbolique du père comme tiers séparateur permettant à l'enfant de sortir de la dyade fusionnelle avec la mère) et une issue pour refuser une identification au féminin maternel vécu comme mortifère.

4.4. L'hypothèse de la "contagion sociale"

Une perspective plus critique est avancée par Caroline Eliacheff et Céline Masson. Elles décrivent le phénomène transgenre adolescent comme une "subculture contagieuse relayée par les réseaux sociaux", relevant d'une dynamique d'"emprise sectaire". Elles identifient plusieurs signes caractéristiques de cette emprise :

Appartenance à une communauté avec des dynamiques de recrutement en ligne.

  • Usage d'une novlangue spécifique (ex: AFAN/AMAN pour "assigné·e fille/garçon à la naissance"), qui isole du langage commun. L'usage de termes comme "personne avec un trou devant" pour désigner une femme illustre la déshumanisation et la dé-symbolisation à l'œuvre, visant à réduire le corps à une pure mécanique.

  • Isolement social et familial des jeunes, qui se coupent de ceux qui ne partagent pas leurs nouvelles convictions.

  • Promesse de bonheur en échange d'une adhésion à une croyance (le principe d'autodétermination comme vérité absolue).

  • Usage de la menace suicidaire comme moyen de pression sur les familles et les soignants (« Préférez-vous une fille morte ou un garçon vivant ? »).

En conclusion, la clinique révèle une hétérogénéité de trajectoires. La demande de transition peut être une solution subjective créative, une défense contre le trauma, une réponse à des conflits familiaux ou une identification à un puissant discours social. Cette complexité pose d'immenses défis éthiques aux professionnels chargés de l'accompagnement.

5. Controverses éthiques et dilemmes de l'accompagnement

L'accompagnement des adolescents transgenres confronte les cliniciens, les parents et les institutions à des dilemmes éthiques majeurs. Le débat principal met en tension deux principes fondamentaux : d'un côté, le respect de l'autodétermination et de la parole du jeune qui exprime une souffrance ; de l'autre, le principe de précaution face à des interventions médicales aux conséquences irréversibles ou partiellement réversibles sur un corps et un psychisme en plein développement.

5.1. Le discernement du mineur et le "consentement éclairé"

La question cruciale du discernement de l'adolescent est au cœur des controverses. Des cliniciens comme Jean Chambry, ainsi que Caroline Eliacheff et Céline Masson, s'interrogent sur la capacité réelle d'un mineur à mesurer l'ensemble des conséquences à long terme des traitements : impact sur la fertilité, la vie sexuelle future, la santé osseuse, et la possibilité de regrets. La notion de "consentement éclairé", pilier du droit médical, est difficile à appliquer lorsque le patient n'a pas encore l'expérience de la vie adulte pour anticiper ces enjeux. Par ailleurs, le mouvement de dépsychiatrisation de la transidentité rend anachroniques les anciennes recommandations de la Haute Autorité de Santé (HAS), qui imposaient un suivi psychiatrique d'au moins deux ans avant toute transition, laissant les professionnels actuels avec des cadres moins définis pour évaluer la demande.

5.2. L'usage des bloqueurs de puberté : temps de réflexion ou voie sans retour ?

Les bloqueurs de puberté sont présentés comme une solution pour suspendre les changements corporels anxiogènes et donner un temps de réflexion au jeune. Cependant, leur usage est l'objet d'un débat intense.

Argument en faveur :

Objectif thérapeutique : Offrir un temps de pause pour soulager la souffrance psychique intense liée au développement de caractères sexuels secondaires non désirés (Chambry).

Réversibilité : Le traitement est présenté comme "totalement réversible" à son arrêt, permettant en théorie de relancer la puberté physiologique (Chambry).

Argument critique :

Risque d'engrenage : Le traitement crée un risque d'engrenage. Des critiques comme Eliacheff et Masson soulignent que ces bloqueurs agissent plus comme une voie de confirmation que comme une réelle pause exploratoire, la grande majorité des jeunes poursuivant ensuite vers des traitements hormonaux.

Conséquences à long terme : Manque de recul scientifique sur les effets à long terme sur la santé osseuse, la fertilité et le développement cérébral. Le caractère "irréversible" de certaines conséquences est un enjeu majeur.

5.3. Le phénomène de la "détransition"

La question des regrets et de la "détransition" est devenue un enjeu central du débat public, même si sa fréquence reste discutée. Le cas de Keira Bell en Angleterre est emblématique : après avoir transitionné à l'adolescence, elle a intenté un procès contre les services de santé, estimant avoir été accompagnée de manière trop précipitée. En France, l'expérience clinique de Jean Chambry apporte une nuance : sur 70 jeunes adultes suivis à long terme, un seul exprime des regrets. Sur un groupe plus large de 200 adolescents, 15 ont renoncé au projet de réassignation en cours de route. Ces chiffres confirment que le phénomène existe, mais il est crucial d'ajouter que « leur présentation pourtant n’était pas différente des autres jeunes, pas davantage de doute dans leur vécu identitaire », ce qui souligne la complexité du discernement clinique. Enfin, certains renoncent non pas en raison d'un changement d'identité, mais à cause de l'hostilité de leur entourage familial.

5.4. Cadres institutionnels sous tension : l'exemple militaire

L'étude du cas d'un élève transgenre dans une école militaire française, rapportée par Dubois-Harvard, illustre les difficultés pratiques et éthiques rencontrées par les institutions. L'inadéquation entre l'identité de genre vécue par l'élève et son statut administratif a généré des conflits concrets et permanents :

  • Vie quotidienne : Problèmes liés à l'assignation dans les dortoirs genrés.

  • Évaluation : Iniquité potentielle des barèmes sportifs, qui sont différenciés par sexe.

  • Règles : Tensions liées à l'application des règles sur le port de la barbe pour un élève administrativement féminin.

  • Carrière : Difficultés pour l'affectation sur des listes de postes genrées.

Ce cas met en lumière la tension constante entre la volonté de bienveillance de l'encadrement et l'application de règlements rigides qui ne sont pas adaptés pour gérer ces situations nouvelles, plaçant l'institution dans une position éthique inconfortable.

En définitive, la prise de décision dans l'accompagnement des adolescents transgenres est d'une complexité extrême, obligeant à naviguer entre des principes éthiques parfois contradictoires et un manque de données scientifiques consolidées sur le long terme.

6. Conclusion : pour une approche clinique nuancée et prudente

L'analyse des enjeux multiples entourant la transidentité adolescente révèle un champ traversé par des tensions profondes entre la subjectivité, la clinique et le social. Face à cette complexité, une approche réductrice, qu'elle soit idéologique ou dogmatique, ne peut rendre justice à la singularité de chaque parcours.

  1. Il apparaît essentiel de maintenir la distinction fondamentale proposée par Antoine Périer, Daniel Marcelli et Marie Rose Moro : les questionnements identitaires propres à l'adolescence doivent être accueillis, écoutés et explorés dans un espace de parole sans jugement ; les désirs de transition impliquant des actes médicaux irréversibles ou lourds de conséquences exigent quant à eux la plus grande prudence et un temps d'élaboration suffisant.

  2. Les critiques issues de la psychanalyse, loin de constituer un rejet dogmatique, appellent à une analyse clinique fine. Comme le souligne Pierre-Henri Castel, il est crucial de dépasser les "paniques morales" et les a priori pour produire des études de cas riches et nuancées, capables de considérer la transition non pas comme une simple pathologie ou une erreur, mais comme une "tentative de solution" que le sujet invente pour survivre à une situation psychique intenable. Cette notion trouve une résonance directe dans les cas cliniques analysés, qui illustrent chacun une modalité singulière de cette tentative : le "mythe personnel de la naissance" inventé par Martin (4.1) face au chaos familial, la "reconstruction en après-coup" de Louis/Louise (4.2) comme défense contre le trauma, ou encore la "réhabilitation de la fonction phallique" par Lou (4.3) pour échapper à une dyade maternelle mortifère.

  3. Cette perspective plaide pour une approche au cas par cas, comme le préconise Jean Chambry. Il s'agit de renoncer à la quête du "pourquoi" pour privilégier un accompagnement qui aide le jeune et sa famille à mettre des mots sur leur vécu, à supporter le doute et à ne pas céder à la précipitation face à des décisions qui engagent toute une vie.

  4. En définitive, la clinique de la transidentité à l'adolescence impose aux professionnels une position d'humilité et de prudence. Elle se situe à l'intersection d'une souffrance individuelle authentique, de dynamiques sociales puissantes et d'incertitudes scientifiques persistantes. Ce carrefour exige un devoir de réflexion éthique constant et une résistance aux solutions simplistes, qu'elles proviennent d'une affirmation militante sans nuance ou d'une pathologisation hâtive. Accompagner, c'est avant tout permettre à la pensée et au temps de faire leur œuvre.

SOURCES

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