Des chemins vers la reconstruction de soi : la naissance de l’esprit et du corps
En tant que psychologue-psychothérapeute, je rencontre de nombreuses personnes qui décrivent un sentiment de vide intérieur, une angoisse d'abandon et/ou d’intrusion, une difficulté à supporter l'attente, l’ennui, une difficulté à se sentir exister de manière continue, des attitudes de mise en danger : Corporelles : automutilations, marquages, ivresses aiguës / Affectives : relations passionnelles et destructrices / Sociales : marginalisation, provocation / Légales : transgressions, petite délinquance / Vitales : conduites à risque (drogues, médicaments, alcool, alimentaires…), flirt avec la mort...
Ces blessures profondes, souvent liées à des "failles" narcissiques anciennes, créent une souffrance difficile à articuler. Pour beaucoup, la parole seule, bien qu'essentielle, devient comme un simple bruit, "incapable de se laisser résonner dans l’écoute introspective du silence". Le langage ne parvient plus à atteindre ces zones archaïques où le mal-être s'est enraciné.
C'est précisément là que d'autres approches deviennent précieuses. En engageant le corps et l’esprit, les sens et la créativité, nous ouvrons une autre voie vers la guérison. Les activités créatives et corporelles ne sont pas de simples passe-temps ; elles constituent un chemin tangible pour se reconstruire, se réparer.
Comment les anciens racontaient la naissance de l'esprit et du corps ?
Le mythe grec de la création est particulièrement parlant. Au commencement était chaos, un abîme sans forme où rien ne pouvait tenir. Puis vint Gaïa, la Terre, qui posa un premier contour ferme sur ce vide, un sol stable. Elle engendra ensuite Ouranos, le Ciel, qui la recouvrit entièrement, sans laisser le moindre espace. Cet état de fusion totale, sans intervalle ni horizon, représente une forme de confusion originelle. Gaïa, encombrée des enfants qu'elle ne peut mettre au monde, souffre de cette union étouffante. La solution viendra de son fils, Cronos, qui, armé d'une serpe, commet un acte d'une violence inouïe : il castre son père Ouranos. Cette césure brutale sépare enfin le Ciel de la Terre, créant un espace, faisant naître la lumière et permettant aux générations futures d'exister.
Mais les conséquences de cet acte sont doubles. Des gouttes de sang d'Ouranos tombées sur la terre naissent les Érinyes, déesses infernales qui incarnent la mémoire des fautes et la vengeance. De son sexe jeté dans la mer, mélangé à l'écume, naît Aphrodite, la déesse de l'amour et de la beauté. Ce mythe est une métaphore de la construction psychique et corporelle. Il nous dit que se définir, c'est-à-dire tracer une ligne entre soi et l'autre, est un acte qui exige un effort, parfois une douleur. C'est un acte de séparation nécessaire à la vie, qui engendre à la fois la possibilité de l'amour et le souvenir de la blessure.
Cette histoire nous rappelle que définir qui nous sommes est un acte créateur, difficile mais essentiel. C'est une césure qui nous arrache à la confusion pour nous donner une forme et une place dans le monde, tout en portant la double promesse de l'amour et de la mémoire de la douleur.
Stratégies et approches psychothérapeutiques
Face à la complexité des souffrances, une prise en charge pertinente doit être multidimensionnelle et séquentielle. Elle vise d'abord à restaurer les fondations narcissiques et identitaires du sujet.
Une approche intégrée est nécessaire, combinant différentes modalités :
Un cadre thérapeutique à la fois souple pour ne pas être vécu comme une agression, et solide/rigide pour apporter les limites indispensables au patient. La permanence du cadre est cruciale ; le patient doit pouvoir le quitter sans le détruire, lui offrant la possibilité de tester la solidité de l'objet sans l'anéantir.
Une psychothérapie individuelle active centrée sur les émotions et la construction d'une identité narrative afin d’aider le patient à se raconter, à mettre des mots sur son parcours, lui permettant de se (re)créer, de devenir sujet de sa propre histoire et de renforcer son narcissisme.
Une psychothérapie à médiation corporelle et créative : ces approches sont essentielles car elles travaillent directement sur les limites et l'enveloppe corporelle/psychique ayant pour but de :
- renarcissiser et reconstituer l'enveloppe corporelle (« Moi-peau ») : ces approches permettent de réinvestir un corps souvent maltraité et de restaurer des limites psychiques.
Exemples : enveloppement humide thérapeutique, massage sensitif, soins esthétiques.
- restaurer un sentiment mise en mouvement et de confiance : en se confrontant à des défis dans un cadre sécurisant, le sujet redécouvre sa capacité à agir sur le réel et à faire confiance.
Exemples : escalade (où l'encordage symbolise la solidarité).
- permettre une expression non-verbale et de symbolisation : l'art-thérapie offre un canal pour exprimer des vécus traumatiques indicibles et commencer à leur donner une forme.
Exemples : modelage de l'argile, dessin, peinture (notamment l'autoportrait).
- permettre de travailler sur la représentation de soi : le fait de créer une production, de la signer, et éventuellement de l'exposer ou de la faire lire, est un processus narcissisant qui aide le sujet à accepter ses limites, à laisser une trace, à reconstruire une existence fragmentée.
Exemples : danse, théâtre, musique, devoir pour un cours que l’on affectionne (philosophie, géopolitique, histoire, art, etc.), génogrammes, ateliers biographiques, etc.
Les approches de groupe : les thérapies groupales (groupes de parole, groupes d'addicts) activent un "moi collectif" qui peut étayer les "moi individuels" carencés. Elles permettent de travailler la relation à l'autre dans un cadre sécurisé.
La sociothérapie et l'éco-citoyenneté : des activités collectives orientées vers un but social (collecte de déchets, bibliothèque communautaire) peuvent être très narcissisantes, donnant un rôle et une valeur sociale au patient, et favorisant la réhabilitation.
Un chemin vers une vie plus vivante
Le parcours de reconstruction de soi peut être long et semé d'embûches. Cependant, les différentes psychothérapies offrent des outils pour transformer la souffrance en force créatrice et le vide en un espace de possibles.
En engageant corps, esprit et émotions, ce chemin permet de construire progressivement une "conception de la vie psychique plus vivante (plus souple, ouverte à la surprise, ambivalente, et plus empathique)". Il ne s'agit pas seulement de guérir, mais de s'engager dans une véritable "re-création" de soi-même. C'est un chemin qui permet de réconcilier ce qui était séparé, de réunifier le corps et l'esprit, pour une vie plus vivante et pleinement incarnée.
SOURCES :
Bourgeois, D. (2019). Comprendre et soigner les états-limites. (3e éd.). Dunod. https://doi-org.proxybib-pp.cnam.fr/10.3917/dunod.bourg.2019.01.
Charrier, P. et Hirschelmann, A. (2022). Les états limites. (4e éd.). Dunod. https://doi-org.proxybib-pp.cnam.fr/10.3917/dunod.charr.2022.01.
Estellon, V. (2023). Les États limites. (6e éd.). Presses Universitaires de France. https://doi-org.proxybib-pp.cnam.fr/10.3917/puf.estel.2023.06.
